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Incidence du prononcé de la peine complémentaire d’inéligibilité sur la carrière du fonctionnaire

Qu’est-ce que la peine complémentaire d’inéligibilité et quel peut être l’impact de son prononcé pour la carrière du fonctionnaire ?

  • La peine complémentaire d’inéligibilité : quand est-elle encourue et comment s’applique-t-elle ?

La peine complémentaire d’inéligibilité est encourue dans de nombreuses infractions, dont certaines en raison de l’activité de la puissance publique (A). Pour ces infractions, si cette peine complémentaire est obligatoire, elle ne s’applique néanmoins pas sans nuance (B) :  

  1. La peine complémentaire d’inéligibilité : définition et quand s’applique-t-elle ?

La loi prévoit pour certains crimes ou délit, une ou plusieurs peines complémentaires, qui emportent interdiction, d’échéance, incapacité ou retrait d’un droit ou autres obligations.

Parmi ces peines complémentaires prévues par la loi, il existe la peine complémentaire d’inéligibilité qui n’intéresse pas nécessairement que les personnes élues ou exerçant un mandat (syndical par exemple), mais également les fonctionnaires ou agents publics, dès lors que le prononcé de cette peine complémentaire emporte la privation de ses droits civiques.

Or, le fonctionnaire ou l’agent public doit jouir ses droits civiques pour entrer dans la fonction publique ou conserver sa qualité de fonctionnaire.

La peine complémentaire peut être prononcée pour une durée pouvant aller jusqu’à 10 ans, en fonction des infractions encourues (articles 131-26 et suivants du code pénal).

La peine complémentaire d’inéligibilité est encourue pour de nombreuses infractions, telles que les violences (art. 222-9, 222-11, 222-12, 222-14, 222-14-4, 222-14-5, 222-15 du code pénal), les agressions sexuelles (articles 222-27 et suivant du code pénal), les discriminations (articles 225-1 et 225-2 de ce même code), les escroqueries ou abus de confiance (art. 313-1 et suivant et 314-1 et suivant du Code pénal), les délits de terrorisme (chapitre Ier du titre II du livre IV du code pénal), la prise illégale d’intérêts, la concussion, le pantouflage, la corruption, le favoritisme (délits prévus aux articles 432-10 à 432-15, 433-1 et 433-2, 434-9, 434-9-1, 434-43-1,435-1 à 435-10 et 445-1 à 445-2-1, puis 441-2 à 441-6), le recel de ces infractions et le blanchiment résultant de ces infractions, l’association de malfaiteurs, lorsqu’elle a pour objet l’une des infractions ci-avant évoquées.

Il existe également d'autres infractions pour lesquelles cette peine complémentaire est prévue, mais pour des violations relatives aux codes électoral et autres, qui n’est pas l’objet du présent article.

Contrairement à d’autres peines complémentaires, la peine d’inéligibilité n’est pas mentionnée au fichier des personnes recherchées (FPR).

La peine complémentaire d’inéligibilité est une peine obligatoire, mais il est possible d’en modérer ses effets de différentes manières.

  1. Peine complémentaire d’inéligibilité : une peine obligatoire, mais pas sans nuance :

Pour les infractions ci-avant listées, la peine complémentaire d’inéligibilité est obligatoire, ce qui signifie que la loi impose aux juridictions qui déclarent un prévenu coupable, de prononcer cette peine complémentaire.

Il convient néanmoins de nuancer cette affirmation, en ce que d’une part, la peine complémentaire d’inéligibilité peut être prononcée de différentes manières par la juridiction.

La peine d’inéligibilité peut ainsi être prononcée avec sursis (article 132-31 du code pénal), ce qui peut être intéressant pour le fonctionnaire prévenu devant le tribunal correctionnel, à charge pour lui de justifier auprès de la juridiction de sa personnalité et en fonction du contexte de la commission des faits et de la nature des faits.

La peine complémentaire d’inéligibilité sans sursis peut être prononcée sans exécution provisoire, ce qui signifie que le fonctionnaire a tout intérêt à interjeter appel dans les dix jours du prononcé de la condamnation, - voire dans les 15 jours en cas d’appel principal du Parquet-, pour suspendre l’application de cette peine complémentaire dans l’attente de l’audiencement de l’affaire devant la Cour d’appel, avec les mêmes chances qu’en première instance de convaincre la Cour de ses arguments et éviter les effets délétères du prononcé de la peine sur sa situation.

En effet, le conseil d’État, dans un arrêt du 17 novembre 2010, n° 315829 a rappelé que :

« la condamnation à la privation des droits civiques, prononcée par le juge pénal, entraîne de plein droit, pour le fonctionnaire, la rupture de ses liens avec le service à la date à laquelle cette condamnation est devenue définitive. »

Ainsi, tant que la condamnation n’est pas définitive, l’administration ne peut titrer quelconque conséquence de la condamnation.

Le fonctionnaire prévenu peut également demander l’exclusion de la mention de cette peine complémentaire au second volet du casier judiciaire (B2), dans les conditions prévues par l’article 775-1 du code de procédure pénale, ce qui aura pour conséquence d’empêcher tout fondement à une révocation fondée sur la condamnation pénale. Le Conseil d’État a ainsi jugé que l’administration ne pouvait radier un fonctionnaire sur la base d’une condamnation pénale exclue du B2 du casier judiciaire (Conseil d'État, 4 / 1 SSR, du 10 décembre 1986, n°50059).

L’inéligibilité peut encore être prononcée avec exécution provisoire et, en pareil cas, toute voie de recours contre cette peine est sans effet sur son exécution, puisqu’elle est d’application immédiate. La décision du juge répressif s’impose à l’administration dès son prononcé et « la décision de maintenir {le fonctionnaire} en service au-delà est illégale » (Conclusions Jean-François DE MONTGOLFIER, rapporteur public sous CE 5 juillet 2023, n°445926).

  • Les conséquences du prononcé de la peine complémentaire d’inéligibilité pour le fonctionnaire condamné par le tribunal correctionnel et les modalités de son éviction :
  1. Conséquences et modalités pour le prononcé de la peine complémentaire d’inéligibilité :

Le prononcé de cette peine complémentaire, du fait qu’elle emporte la privation des droits civils, civiques du fonctionnaire, engendre l’incompatibilité pour lui de continuer sa carrière. En effet, l’article 5 de la loi du 13 juillet 1983, prévoit que pour être fonctionnaire, il faut jouir de ses droits civils et civiques.

L’article L. 550-1 du Code général de la fonction publique (qui codifie l’article 24 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983) prévoit que « l’interdiction par décision de justice d’exercer un emploi public » conduit à « la cessation définitive de fonctions qui entraine à la radiation des cadres et perte de la qualité de fonctionnaire ».

En cas de prononcé de la peine complémentaire d’inéligibilité, l’administration se trouve donc en situation de compétence liée (Conseil d’État, Section, 25 juillet 1980, 15363) et a l’obligation d’organiser la réunion d’une commission d’administration paritaire statuant en la forme disciplinaire pour prononcer la radiation du fonctionnaire pour incompatibilité de son statut avec la sanction prononcée par le tribunal correctionnel, importe peu que la peine complémentaire ait été prononcée pour une durée d’un an à l’issue de laquelle le fonctionnaire était susceptible de reprendre son poste à l’issue de ce délai et l’administration n’a pas à rechercher un poste pour son reclassement (Conseil d’État, 10 décembre 2020, n°437034).

  1. Conséquences en cas de prononcé de la peine complémentaire en cas d’exécution provisoire :

L’employeur public est tenu de radier des cadres / des contrôles le fonctionnaire ou l’agent public condamné à une peine complémentaire d’inéligibilité avec exécution provisoire et ce, même si le statut de l’agent public (en l’espèce un agent de la chambre des métiers) ne le prévoyait pas expressément, dès lors que le prononcé de cette peine complémentaire entraînait la rupture définitive et automatique du lien avec le service (Conseil d’État, 10 décembre 2020, n°437034). Il en va nécessairement de même du fonctionnaire.

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